Wednesday, December 26, 2012

Réjean Bonenfant


Poème « irrépondable »

                                                                           Inspiré par Réjean Bonenfant1

Que c’est difficile de dialoguer dans la Noirceur,2… sinon impossible !
Qualifier d’«irrépondable» le réfléchissement dur sans fioriture d’un poète
révoltévenant d’au-delà de vos frontières,
vous excuse, sans doute, vous, poètes subventionnés de l’État, de réfléchir
sur ce qui est déjà trop bien enterré dans le fond de vos méninges surprotégées,
et vous permet de continuer de jouir de votre refuge dans la grande illusion littéraire. 
Si la plume est une épée, c’est seulement quand c’est dans vos mains
et ce n’est pas du tout au grand service de la poésie.
Le poète révolté reste désarmé devant vous, mais il refuse de s’en aller.
Appelez donc les flics… ou est-ce que vous l’avez déjà fait ?

Dénigrer son expérience d’être censuré devant l’apathie de la masse poète
par l’évocation de la vôtre ou de celle d’un autre d’il y a quelques années
vous enlève toute trace de culpabilité d’inaction là où vous auriez dû réagir
et vous permet sans doute de prospérer dans la grande hypocrisie de la poésie
chez vous où l’ouverture est prétendue car poètes d’outre-mer sont les bienvenus—
ben, pas tous—mais n’est-ce pas en réalité qu’un grand geste superficiel ?

La Machine de la poésie existe comme formidable ennemie de la poésie rebelle,
celle qui s’engage contre la Machine elle-même
car cette dernière, résultat naturel de la force indomptable de la mondialisation,
sert à diminuer le pouvoir de la poésie en répandant la versification délavée,
celle pratiquée dans vos cliques de bistrots pop ou salons confortables.
Examinez tout simplement le tonnelage de poèmes produits dans votre seule ville—
une masse, pour la plupart, qui n’éclaire aucunement
car au nom de l’aveuglement bénéfique perpétué par les poètes rouages.
Sans les subsides des oligarques, vous ne posséderiez pas
vos chics recueils imprimés sur papiers pas mal chers.

Que c’est difficile de dialoguer dans la Noirceur… sinon impossible !
Deux solitudes en état de guerre, vous et le poète révolté,
et vous êtes la puissance de loin dominatrice du fait de vos amples fonds
ce qui vous permettent d’accaparer les moyens de communication littéraire
tandis que le poète révolté fait partie des derniers sauvages car sans éditeur
pour lui gonfler la tête, ni coterie de groupies pour l’assurer dans cet univers sans assurance.
S’il perd cette guerre, et c’est sans doute ce qui va arriver, serez-vous vraiment contents
dans l’enfer que vous avez préféré, là où le poète devenu showman n’a plus de voix ?
Vous secouer de votre complaisance ne semble même plus une option aujourd’hui;
après tout et en fin de compte, les poètes de fonction ne sont que des poètes fonctionnaires !    
……………………………….
 
1Réjean Bonenfant, écrivain québécois
2La Grande Noirceur, c’est l’époque où régnait Maurice Duplessis, dictateur soft québécois

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